Paris 44
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 Rêve Parisien { Libre }

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Karl Grey

Karl Grey

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MessageSujet: Rêve Parisien { Libre }   Rêve Parisien { Libre } EmptyLun 16 Aoû - 2:19

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, disait le poète. Ce jour-là, Karl, le considérant presque comme un frère, un camarade d’infortune, avait l’impression de comprendre ce malheureux, qui n’avait probablement rien demandé, et qui s’était sans doute vu obligé, comme lui, pour une raison qui lui échappait et qu’il ne saisirait sûrement jamais, de porter le lourd fardeau des réminiscences. Comme si ses épaules ne peinaient pas suffisamment à tenter de se tenir droites – il avait par ailleurs renoncé à les trop redresser, depuis que le remord rongeait son cœur et que l’uniforme gris bleu n’enserrait plus sa poitrine de son trop-plein de galons.
L’esprit empli d’un flot ininterrompu de souvenirs, il avait déambulé de par la ville, avec pour seuls compagnons un fragment d’âme et une mémoire en lambeaux. Peut-être était-ce à cause de cette pluie, humide et sale, que tous ces souvenirs remontaient à la surface, surgissant sans sommation aucune d’un passé qu’il avait cru mort – ou du moins, agonisant. Nostalgie des temps anciens, si lointains, qu’il ne comprenait pas vraiment. Il avait pourtant cru… Non, il se pensait certain de n’être pas de ceux-là qui se morfondent constamment sur leur sort et leurs désespérances fades. Les siennes l’avaient brûlé si profondément qu’elles avaient déjà consumé son esprit. Cendres et poussières, voilà ce qu’il était devenu. Voilà comme le temps l’avait rendu. Mais il n’était pas complètement idiot, il s’était résigné. Cela valait mieux que de s’obstiner sur des chemins scabreux qui, il le savait bien, ne le mèneraient nulle part, en fin de compte. Il avait fini par s’éclaircir les idées et se fixer un objectif. Du moins tâchait-il de s’en persuader. Il savait ce qu’il avait à faire. Il savait où il allait. Il savait ce que cela lui coûterait. Oui, il savait. Alors pour quelle raison se sentait-il si perdu, soudainement ? Comme si ses pas ne reconnaissaient plus le pavé qu’ils foulaient. Comme si… Comme s’il était de nouveau à Berlin. Comme s’il remontait doucement l’Alexanderstrasse après une rude journée et qu’il rentrait chez lui rejoindre…

    « Klaus, peut-être devrais-tu prendre garde, tu t’égares… »


Tendre et maternelle, la voix de Solveig mourut comme un soupir dans le vague crépitement de la pluie hivernale. Elle soutint sans ciller le regard mort qui se posait sur elle, semblant ne pas la voir – ou peut-être refusait-il simplement d’accepter sa présence, comme cela lui arrivait régulièrement en des jours plus moroses. Comme avant… Un silence s’installa. En sourdine, la pluie continuait de battre doucement le pavé. Sans un mot, ils se regardaient, se comprenaient et s’adonnaient parfois à ce jeu imbécile qu’était la dissimulation de contrefaçon. Nul n’y croyait, c’était un fait dont chacun avait pleinement conscience. Mais c’était pour la forme. Faux-semblants aux airs de vérités mensongères, juste pour avoir l’illusion de croire encore un peu que tout ceci n’était qu’un cauchemar, un mirage de mauvais goût issu du caprice diabolique d’un subconscient ridicule. Karl aurait voulu avoir la force d’y croire encore. Se dire que dans quelques instants, il s’éveillerait entre des bras blancs, puis enfilerait son uniforme et retournerait docilement à la caserne. Se dire que toute cette guerre n’était qu’une farce macabre et que les jours de paix voyaient leur crépuscule encore loin. Mais il avait bien trop conscience depuis bien trop longtemps. Le temps n’était plus aux badineries…
Karl cilla. Une fois, puis deux. L’ombre qui voilait ses yeux s’effaça tout doucement, alors qu’un léger sourire se profilait sur ses lèvres. Tendrement, il répondit :

    « Tu as raison, Solveig. Alexanderstrasse est bien loin de chez nous… »
    « Beaucoup trop loin. Sois gentil de ne pas trop te perdre dans Paris. Tu sais bien que je pourrais te ramener à la maison, mais avec cette pluie, tu risquerais d’attraper la mort avant d’atteindre le Musain… »
    « Ne t’en fais pas, ça ira. Nous serons rentrés avant la tombée de la nuit. »


Il avait juste besoin de faire le point. Avec le passé. Avec lui-même. Avec le monde… A la vérité, il avait surtout besoin de refouler tous ces souvenirs dont le poids faisait bien trop ployer son cœur ralenti. Et quoi de mieux pour cela qu’une longue marche hasardeuse à travers une ville qu’il avait voulue sienne…

Une longue plainte éclata alors, non loin de l’endroit où Karl et Solveig se trouvaient. Bientôt, ce fut comme si le ciel se déchirait sous l’assaut de ces coups qui emplissaient l’atmosphère. Les cloches. Du paradis ? Probablement pas… Celles de l’église Saint Eustache, tout au mieux…
Il l’avait regardée longuement, avec au fond de ses yeux des interrogations silencieuses. Qu’en penses-tu ? Et pour seule réponse, un battement de cils, comme un haussement d’épaules.

    « Au moins, tu y seras à l’abri. »


Un fragile sourire bourgeonna sur ses lèvres. Pour une fois, elle lui épargnait le sermon immuable sur sa santé et l’idiote manie qu’il avait de toujours marcher sous la pluie glaciale.

Mis à part quelques rares égarés, l’église était vide. On aurait presque pu entendre ses pas résonner dans la nef, s’il n’avait déjà appris à se montrer discret. Karl s’installa sur le banc le plus proche de la porte. Solveig était restée sur le seuil et il craignait de trop s’éloigner d’elle. Les douleurs de la séparation étaient la dernière chose dont il avait besoin, dans l’immédiat.
Mains croisées, doigts emmêlés, il réfléchissait. L’atmosphère des maisons du Seigneur ne l’avaient jamais véritablement encouragé aux prières – il avait vu bien trop de choses pour se permettre la naïveté d’une croyance sincère – mais le calme silencieux était une denrée rare, en ces temps de trouble. Et il en avait grand besoin…

A le voir sur son banc, ainsi immobile, yeux presque clos, on aurait pu le croire endormi. Qui sait s’il se serait même donné la peine d’une réaction, dans l’éventualité où le plafond de l’église s’effondrerait. Au contraire, peut-être cela l’aurait-il arrangé… ? Et lui, il attendait. Une arrivée, un départ, des réponses... Ou un simple silence.
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Leopold Von Sacher Masoch

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MessageSujet: Re: Rêve Parisien { Libre }   Rêve Parisien { Libre } EmptyMer 25 Aoû - 21:42



Angelus Domini nuntiavit Mariæ...


Leopold aurait plutôt eu envie de réciter les paroles de quelque poète, dont il se sentait proche tant par la beauté des vers que par le cœur et l’amour pour leur pair, qu’ils avaient en partage. Car dans son cœur aussi, il en pleuvait des pages. Mais Lucas se contentait d’adorer ces jolis jeux plutôt que d’y prendre part. On lui avait donné le savoir mais il fallait rester modeste, songeait-il et il se contentait d’admirer la plume des autres, sans avoir l’audace ni de prendre la sienne, ni de prétendre sonder de cet art tous les mystères. Il était d’autant plus conscient de la misère de sa situation qu’il n’était pas comme eux, pas comme ceux qu’il lisait avec tant de ferveur.

Il avait parfois des remords, devant l’Eternel, mais il se savait condamné depuis longtemps, de toute façon. Il avait appris à accepter son sort avec résignation et tâchait du reste de mener une vie exemplaire. A présent, il déambulait dans Paris, heureux de ne pas croiser trop de visages, c’était un salut pour le miséreux que de n’être vu par personne. Il se cachait sous son parapluie et son chapeau, espérant que les français ne feraient pas cas de son teint et passeraient leur chemin, hautains et pressés, comme à leur habitude.

En ce jour sacré, Leopold se rendait à l’Eglise : on était dimanche en effet, et il avait la matinée à sa disposition jusqu’au petit déjeuner qu’il prenait seul et dans un café. Après quoi, il rentrait immédiatement au manoir mais pour l’heure, il vaquait dans la ville, profitant de ces heures où il pouvait sortir pour un autre motif que celui de ramener des victuailles. Honteusement, secrètement, il en avait profité pour se perdre à l’orée du quartier du Marais ; ce quartier malfamé et mal réputé dans lequel il était pourtant sûr d’avoir une once, peut-être, de chance de trouver un peu de chaleur. C’est ce qu’il avait entendu dire, il savait cependant la difficulté que sa recherche représentait, surtout pour un pauvre homme comme lui qui n’avait aucune relation dans les milieux idoines. Il espérait au moins y trouvait quelques informations mais il ne trouva que la désolation et des policiers qui le chassèrent rapidement.

Il se réfugia dans les rues du Chatelet, l’âme vague et triste. Montparnasse n’avait pas de quoi se plaindre, avait-il également ouï dire, mais sa condition au manoir l’empêchait de sortir librement. Alors qu’il soupirait, il entendit tout près le doux et lourd bruit enveloppant d’une cloche qu’on sonne. L’église Saint Eustache en effet n’était pas bien loin et il s’y rendit à l’oreille, n’osant aborder les quelques passants qu’il croisa. Il s’y enfoui comme un enfant se terre sous la couette dans l’espoir d’échapper au noir. Cette pensée le fit amèrement sourire : voilà une chose à laquelle il ne pouvait échapper…

En rentrant, il aperçu un chien… ou était-ce un loup ? Enfin, c’était un canidé, ce qui était en soit assez inadéquat. Il leva les sourcils, surpris, mais entrepris aussitôt d’enlever son chapeau. Il referma son parapluie et épousseta son habit avant de pénétrer véritablement dans l’enceinte de l’église.


Eh bien, c’était on ne peut plus vide, ce qui enchanta le jeune africain. Ici au moins, on le regardait certes avec dédain mais on ne pouvait guère le martyriser : il était tout aussi catholique que les autres, on le tolérait donc. Il n’osa cependant aller trop avant dans l’église, il venait prier ici et non pas s’acoquiner aux prêtes. Il valait mieux rester loin de leur contact, Dieu entendaient les prières d’où qu’elles soient récitées, après tout.

Il s’assit à un banc inoccupé et croisa le regard d’un jeune homme dont les peines se lisaient sur le visage comme des alexandrins dans un recueil. Il lui fit un faible sourire et commença à prier, à prier aussi pour cet homme que le malheur rongeait de façon si manifeste.

Oremus: Gratiam tuam quæsumus, Domine, mentibus nostris infunde; ut qui, angelo nuntiante, Christi Filii tui Incarnationem cognovimus, per passionem eius et crucem, ad resurrectionis gloriam perducamur.
Per eumdem Christum Dominum nostrum.
Amen.
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Karl Grey

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MessageSujet: Re: Rêve Parisien { Libre }   Rêve Parisien { Libre } EmptyMar 28 Sep - 20:36

Rêveries ternes. Paupières lourdes, lestées de plomb et du poids de la Vie – de celle qui accablait les soldats égarés, et non pas de ce léger souffle qui gonflait, animait et faisait palpiter les poitrines des jeunes filles en fleurs – Karl fixait sans ciller le dossier du banc face à lui, qui soutenait fièrement le regard morne dont on gratifiait – comble d'impudence – ses siècles de muette présence, en imposant au Monde – et aux jeunes impertinents – sa massive boiserie à la manière d'une dame, qui n'attend d'autre tribut que celui d'être – silencieusement – appréciée à sa juste valeur.

Il était trop tard pour les Regrets – les cloches avaient déjà sonné quatre heures. Malgré tout, il s’était laissé prendre au piège. Naïvement, il avait permis à son esprit de frôler le flot persistant des pensées délétères – juste pour un instant. Et il avait été emporté par la vague – sans surprise. Il avait fini par perdre le contrôle et fatalement, ce fut la Dérive qui le faucha. Solveig l’avais mis en garde – tu t’égares – mais… Mais rien. Il en avait tenu compte. Sincèrement, se persuadait-il. Au fond de lui, il savait bien qu’à force de légèreté, il finissait toujours par ignorer les avertissements de la bonne foi et du bon sens. Un moyen comme tant d’autres d’invoquer la Faucheuse, peut-être, depuis le temps qu’il l’attendait ? Ou une simple pirouette sans conséquences, dans le but de se donner bonne conscience, de se dire que quoiqu’il en soit, il ne risquait rien et que les limites de la Prudence pouvaient être repoussées encore un peu – oh juste un peu… Quelque part, entre deux visages trop flous et un déchirement encore trop perceptible, il lui sembla percevoir un mouvement. La danse éphémère d’une ombre de passage, le froissement d’une aile qu’on replie sur soi et le sourire compatissant du passant aimable – et du bon chrétien. Ç’aurait pu être comme une déflagration, un déclic quelconque, une gifle glacée qui lui aurait fait reprendre conscience – il n’avait nul besoin de la compassion d’un inconnu ! Mais ce ne fut qu’une goutte comme tant d’autres, qui s’estompa en silence dans la terne pluie dont son esprit s’était finalement entouré. Peut-être même était-ce là l’origine du mal qui le rongeait depuis des années et auquel il n’avait jadis pas eu le courage de succomber… A l’entrée, un aboiement retentit. Gémissement de solitude, mugissement de l’amie fidèle qui tentait, une fois encore, de le ramener sur le droit chemin, et de l’éloigner de tous ces sentiers scabreux clôturés de ronces sur lesquels il se plaisait parfois – maintenant encore – à se perdre.

Karl cilla. Et, pour une fois, juste une fois, chercha en lui une force dont il ne se savait plus capable, s’exhorta à écouter l’ultime conseil de Solveig. Ouvrir les yeux et fixer l’avenir, mais surtout, tourner le dos au passé – pour l’instant, du moins… Ce n’était que partie remise, n’est-ce pas ? Et n’était-ce pas la conduite qu’il s’était voulue, en ces temps où on avait encore besoin de toute l’aide qu’il pourrait fournir ? Il n’avait que trop abîmé ses ailes et ses esprits contre ce Mur de l’Immuable où il se heurtait inlassablement, après tout. Assez pour aujourd’hui, il reprendrait demain… Oui, demain… Ou plus tard… Le plus tard serait le mieux, mais… Mais quoi ? Las, le cœur fatigué par toute cette dualité qui l’agitait et qu’il ne se comprenait d’ailleurs pas, il sentait déjà la Résignation le gagner et le conduire de nouveau sur des terrains peu sûrs, lorsque, pour une raison quelconque qu’il ne put saisir, sur le coup, son regard se dirigea vers le banc non éloigné où s’était installé l’inconnu qui avait pénétré l’église peu après lui – ou bien après, il ne savait plus vraiment…

Chevelure immaculée sur une peau de jais. Voilà qui n’était pas courant – et qui devait être assez pour l’éloigner quelques instants de ses considérations égoïstement renfermées. Alors, Karl fit appel à l’espion – agent secret, disait-on, dans le platonique dessein de paraître moins péjoratif – qui sommeillait en lui, et s’obligea à se poser des questions. Indiscrétions silencieuses qui n’avaient d’autre but que de servir son esprit fébrile et de lui changer les idées. Parfois, il avait tendance à oublier cette vocation nouvelle qu’il s’était trouvée, pour survivre. Et qui, si elle le surprenait toujours, avait le mérite de l’absorber assez pour lui faire oublier. Pour le faire s’oublier.

Et l’examen commença, froid, clinique, détaché. A moins qu’il ne s’agisse d’une teinture particulièrement bien développée, la blancheur des cheveux de l’inconnu – un jeune homme d’une vingtaine d’années, sans doute – devait être la marque d’un albinisme certainement complexant et peu assumé, en ces temps troubles où l’on privilégiait plus que tout les gènes de blondeur et d’yeux célestes. De même, la peau sombre du jeune homme indiquait des origines africaines. En plein Paris allemand ? Pourquoi pas… A la réalité, Karl se sentait l’esprit d’un voyeur, en cet instant précis, et cela le dérangea énormément – on ne l’avait pas éduqué à épier les fidèles dans une église, surtout lorsqu’il priaient avec tant de ferveur et de dévotion. L’espace d’une seconde, il envia furieusement cet enfant perdu qu’il ne connaissait pas, mais qui, contrairement à lui, avait encore quelque chose en quoi croire, en quoi accrocher le peu d’espoir qu’il devait parvenir à trouver, sur cette terre implacable. Qui l’avait dit, au juste ? Que la pire déchéance de l’homme était de perdre toute foi, toute croyance, face à un monde hermétique à la compassion… Et qu’importait l’auteur, au fond ? Ce genre de raisonnements ne le concernait plus. Lui s’était déjà résigné à porter sa croix dans la solitude. Et pour l’heure, il avait pu s’éloigner vaguement de ses propres tourments. Un jour, peut-être, saurait-il avec certitude si c’était véritablement là une bonne chose… En attendant, il n’avait plus grand-chose à faire dans une église, pécheur impie au cœur si peu propice à la foi, qui prenait la place d’honnêtes chrétiens qui avaient encore besoin de rechercher l’espoir d’une écoute divine. Cette pensée manqua lui arracher un sourire amer, lorsqu’il se rappela à quel point une nef pouvait sembler immense, lorsqu’elle était vide… De toute évidence, il ne devait plus y avoir grand monde, à avoir encore quelque confiance en un Dieu qui demeurait obstinément impassible…

Tout à ses futiles considérations, il n’entendit pas la porte de l’église s’ouvrir, pas plus qu’il ne perçut ces légers pas fuyants qui, troublant le pesant silence, s’étaient engouffrés précipitamment dans la Maison du Seigneur. Néanmoins, une fraction de seconde avant qu’elle ne l’aborde, il sut qu’elle était là.

Une femme entre deux âges, probablement du côté de la trentaine, au beau visage effrayé et aux grands yeux fardés d’indicible panique qui se lisait sans peine aucune jusque dans ces ravissants iris couleur de miel. Sa voix était entrecoupée de sanglots hoquetants, tremblante d’une terreur qui semblait vouloir l’engloutir toute entière, et sous les pans épais – usés – de son manteau vermoulu, un enfant était précairement dissimulé. Un petit garçon de cinq ou six ans, aux boucles blondes et aux yeux noirs si profonds qu’ils semblaient porter le poids de l’éternité. Soupir de désespoir, au fond de son cœur. Qui, au monde, pouvait bien tolérer qu’un enfant puisse avoir un tel regard ?!

    « Je vous en prie… Mon fils… Ne les laissez pas me le prendre… Je vous en prie… Vous… Vous l’emmènerez, n’est-ce pas ? En sécurité… Sécurité… Je vous en prie, monsieur… Mon seul espoir, je vous en prie… »


Tout d’abord, Karl ne prit pas pleinement conscience de ce que cette femme lui demandait. L’emmener ? Son fils ? Elle ne voulait tout de même pas… ? A son oreille, elle murmura une adresse d’un ton pressant, et ses yeux éteints s’écarquillèrent soudain, mélange inattendu de totale incompréhension et d’une suspicion qu’il se prenait à espérer de tout son cœur devoir regretter par la suite. Car la terrorisée lui demandait de conduire l’enfant dans l’un des repères les moins connus – faute d’être parmi les mieux fortifiés – de la Résistance. Ce qui pouvait soit signifier qu’il s’agissait d’une résistante follement inconsciente et bien renseignée, soit qu’il avait sous les yeux l’espion allemand le plus parfait et le plus crédible qu’il lui ait été donné de rencontrer à ce jour. De son côté, il était presqu’entièrement sûr de la solidité de sa couverture. Parmi les résistants, il n’était connu que de Gangrène et de quelques-uns de ses proches, en plus de ses contacts personnels et de ses propres collaborateurs. Il avait mis un point d’honneur à ne pas se faire connaître par le bas de l’échelle. Qui sait ce qui pouvait bien vous arriver, si la célébrité vous touchait, dans ce versatile milieu qu’était le Renseignement… Donc, il n’y avait qu’une infime, quoique non négligeable, possibilité pour qu’on lui ait personnellement tendu un piège en lui envoyant cette pauvre désespérée. Qui avait manifestement pris son silence catastrophé – et songeur – pour un consentement. De fait, elle entreprit d’ôter son manteau, qui cachait une impressionnante quantité de vêtements qu’elle roula en boule et enveloppa dans un second manteau qu’elle portait en dessous du premier, le façonnant de manière à former une silhouette légèrement plus petite que celle de son enfant, mais néanmoins crédible de loin, si elle la portait dans ses bras, ce qui était sans doute son intention. Puis, un éclair de lucidité vint frapper Karl, qui manqua s’écrier – se retenant de justesse et se forçant à murmurer :

    « Non, Madame ! Je ne peux pas ! »


Non. Il était tout simplement ridicule de songer à mettre un enfant à sa charge, même temporairement. C’était bien trop de responsabilités d’ainsi lui confier une vie et de lui en laisser l’entière responsabilité, à lui qui avait bien assez de mal à porter son propre poids chaque jour… Qui plus est, il n’était pas à l’abri d’une mauvaise rencontre et conduire ainsi un enfant dont nul ne savait rien dans l’une des caches de la Résistance, c’était de la folie pure – pour ne pas dire du suicide. Certes, sa couverture allemande en pâtirait, s’il était bel et bien en présence d’un agent de l’autre camp, mais il était homme de principes et pourrait, le cas échéant, s’en servir – comment cela se faisait-il qu’on ne l’ait point informé d’une telle manœuvre ?! Néanmoins… Non, il ne pouvait décidément faire cela à Jeanne. Malgré tout, on le prit par les sentiments. La main glacée de la jeune femme vint effleurer son bras et dans ses yeux, il finit par apercevoir les larmes qui, semblait-il, voulaient couler depuis son arrivée…

    « Je vous… en prie… »


Sa voix n’était plus qu’un souffle mourant et elle semblait à bout de nerfs. Et alors que, renonçant à toute prudence, il commençait à se dire que cela ne lui coûterait peut-être rien d’aider cette pauvre égarée, Karl voyait déjà le regard moqueur de Solveig. Elle trouvait toujours le moyen de le tourner en dérision, lui, le désespéré au grand cœur. Bah… Il n’était pas obligé de se justifier, de toute façon. Il n’en ferait qu’à sa tête de toute façon, et elle comprendrait, immanquablement.

    « S’il vous plait… »


Un soupir lui échappa et Karl se décida à hocher la tête en faible assentiment.

    « Très bien. Mais je ne vous garantis rien… »


Le soulagement qui irradia alors dans le fragile sourire de la femme lui fit mal au cœur. Comment pouvait-elle, dans de telles circonstances… Alors que c’était à lui qu’elle avait confié ce qu’elle avait de plus précieux…

    « Merci. Merci, de tout mon cœur. Je vais les conduire ailleurs, vous pourrez sortir un peu après moi… Et merci encore… »


Avant qu’il n’ait eu le temps de demander quelle était la nature de ces « les », poursuivants inconnus et si menaçants, la femme, dans une brise de léger parfum, posa ses lèvres sur sa joue encore humide – depuis combien de temps n’avait-il pas reçu telle marque d’affection ? – et, après un dernier et tendre baiser à son fils, s’en alla comme elle était venue.

Karl aurait voulu pouvoir lui dire « Tâchez de rester en vie », mais il ne le put pas. Au lieu de quoi, il la vit brutalement prendre conscience de la présence du jeune africain – présumé – de tout à l’heure, qui les observait du coin de l’œil – il l’avait lui-même oublié, et s’en voulut de tant de négligence. Elle s’approcha de lui, sembla vouloir lui murmurer quelque chose, puis rebroussa chemin et sortit précipitamment de l’église.

Et un ange passa…

Lorsque la porte se fut refermée sur le silence de la nef, Karl avait toujours les yeux fixés sur le jeune homme aux ferventes prières. Et il réfléchissait. A la réalité, il s’apprêtait sans doute à commettre la plus grossière erreur de son existence, celle que même Jeanne – et Solveig – ne lui pardonnerait pas. Mais à circonstances particulières réactions extrêmes, n’est-ce pas… ?
Jetant un regard furtif au garçon, il constata, non sans une certaine douleur qu’il ne pleurait pas et semblait parfaitement calme. Jusqu’à quand la digue tiendrait-elle… ?
Puis, presque par automatisme, il lui prit la main, contact légèrement maladroit qui se voulait rassurant, et se dirigea vers le jeune africain, qu’il aborda d’une voix douce et posée. Sa voix habituelle, qu’il avait fini par retrouver – au prix de quelle surprise… Il ne prit pas de profonde inspiration, mais se sentait de nouveau en pleine possession de sa lucidité et de ses capacités. Et cela lui suffisait amplement… Le courage n’était qu’une illusion destinée aux inconscients qui avaient besoin d’un stimulant pour leurs nerfs. Lui… Lui n’avait plus que le calme des désespérances fades. Celui-là même qui le poussait à s’engager dans le jeu imbécile qu’il s’apprêtait à lancer. Ne lui restait plus qu’à voir qui, de lui ou du diable, cèderait le premier…

    « Excusez-moi, mais sauriez-vous le chemin pour rejoindre la Rue Pavée, à partir d’ici ? »


En y mettant tout l’accent anglais dont il était capable. Bien entendu, il se trouvait à Paris depuis assez longtemps – et avait auparavant bien trop étudié de plans – pour pouvoir retrouver son chemin n’importe où, un bandeau sur les yeux et du coton dans les oreilles. Naturellement, l’adresse qu’il avait demandée n’était pas celle qu’on lui avait confiée – on ne savait jamais, n’est-ce pas – et ne servait que de relais secondaire à la Résistance. Mais de là, il pourrait au moins joindre Jeanne et lui demander ce qu’il y avait lieu de faire. Elle restait son supérieur hiérarchique, après tout…

Bien. Et maintenant ? A quand l’échec et mat ? Et… pour quel camp, surtout… ?
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Leopold Von Sacher Masoch

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MessageSujet: Re: Rêve Parisien { Libre }   Rêve Parisien { Libre } EmptyDim 17 Oct - 18:32

« Je vous en prie… Mon fils… Ne les laissez pas me le prendre… Je vous en prie… Vous… Vous l’emmènerez, n’est-ce pas ? En sécurité… Sécurité… Je vous en prie, monsieur… Mon seul espoir, je vous en prie… »

Leopold tout à sa prière fut soudainement sorti de sa méditation par ces quelques phrases. Il y avait certes longtemps qu’il ne cillait plus en entendant les allées et venues des diverses personnes dans les églises – mais les mots. Il ne pouvait rester concentré que dans le silence. Il faillit s’insurger, dans l’infime laps de temps qui sépara la perception du son et la compréhension des mots. Et quoi que Dieu ou les prêtes puissent en dire, il troqua son dernier petit bout de Paradis pour céder à la tentation : il écouta ce qui se passait. Il abdiqua devant la curiosité, tout aussi vilain défaut qu’elle fut.

Et une fois de plus, dans sa petite existence, il fut le témoin d’une précarité révoltante. Il avait vu toutes sortes d’horreurs, dans les mines, et cela continuait. Ce n’était qu’un autre type d’horreur. Une mal plus subtil, plus pervers encore : non plus l’exploitation mais la honte et l’acharnement. Différents pays et même fléau. Il ne pouvait que les comprendre.
Tout ce qui le maintenait en vie, c’était la réputation de monsieur H, et son comportement irréprochable ; car même sous la gouvernance de ce grand homme, un seul écart lui eut été fatal, et H, sans ciller, l’aurais laissé emporter. Comme eux il était exclu, à peine protégé : c’était une chance si on lui avait permis de prier jusqu’au bout et sans le faire sortir. Dieu merci, les prêtes ne s’étaient même pas avancés jusqu’au fond de la nef.

Mais l’entrée théâtrale de cette âme en perdition n’avait pas laissé indifférents les dévots. Ils s’empressèrent de lever l’œil et de scruter la progression de l’évènement. Ces deux spectacles synchrones créaient dans l’esprit du jeune africain une confusion désagréable. Au « non » de l’homme, il crut que la situation se terminait enfin, et du mieux qu’elle put s’achever, mais la femme insista ; Leopold fut pris de panique et dans son esprit ce n’était plus prières mais suppliques désespérées pour que Dieu fit bouger cette folle et qu’il la chassât de son édifice.

Ne se rendait-elle pas compte qu’elle prenait des risques ? C’était une question idiote, mais les prêtes arrivaient. Croyait-elle qu’à l’Eglise on la laisserait tranquille ? En pensée, Leopold soupira mais son ardeur n’en était que plus vigoureuse. Car enfin, les dévots, comme à chaque fois qu’ils rencontrent une âme en passe d’être damnée, commencèrent à s’attrouper pour la rejoindre, et lui troquer salut ou vie, exclusion ou absolution. Qu’attendaient-ils, tous ? Que les prêtes arrivent à leurs pieds et que leur manège soit exposé au grand jour ? En ces temps troubles, personne n’était à l’abri, nulle part. Et Leopold lui-même était tiraillé entre deux sentiments contraires, ce qui était éprouvant et extrêmement désagréable. Devant un tel spectacle, comment rester impassible ? Alors qu’il avait en son cœur la puissance de compatir et assez de souvenirs et d’expérience pour comprendre…
Mais il ne voulait pas qu’on l’embarquât avec ces insouciants et qu’on l’assassinât avec le prétexte d’avoir désobéi à la nation, prétexte d’autant plus à propos qu’il y désobéissait continuellement, étant naturellement ébène et non pas « immaculé » comme il aurait dû l’être.

Et soudain, alors que la femme enfin avait compris et s’était précipité au dehors, l’effroyable tant redouté se produisit. L’homme lui adressa la parole.
« Excusez-moi, mais sauriez-vous le chemin pour rejoindre la Rue Pavée, à partir d’ici ? »

Sans comprendre véritablement ce qu’on lui demandait, ne retenant que « Rue pavée » dans les bribes de ce qu’il venait d’entendre, il se redressa sans attendre et souffla au garçon et à l’homme de lui suivre à l’extérieur. Qu’avait-il dit ? Qu’avait-il fait ? Il aurait dû leur demander de sortir, de quitter ce lieu de culte pour cesser enfin de briser le silence, et laisser les fidèles à leur muette contemplation. Il aurait dû les chasser avant qu’on ne leur suggère l’idée de façon plus rigoureuse. Il aurait dû et maintenant, c’est lui aussi qu’on allait chasser : les prêtes le regardaient de travers et, même s’ils s’arrêtèrent lorsque tout ce beau monde se dirigea vers la sortie, Leopold su qu’il ne pourrait plus jamais remettre les pieds dans cette église. Il fit un signe pour s’excuser, mais il était trop tard.

Une fois dehors et son sang un peu calmé, il songea aux multiples options qui se présentaient à lui. Une partie conséquente de son être aurait voulu aider, aurait voulu contribuer à cette rébellion, aurait voulu avoir le courage de dire non, mais il essayait de résonner, et de céder à sa conscience plutôt qu’à sa folie. Il ne pouvait pas les aider. Il ne voulait pas mourir pour eux.
Il abandonna, rapidement mais non sans en souffrir, l’idée de les accompagner. Il choisit la prudence, et arriva à la conclusion qu’indiquer le chemin à des gens qui s’étaient perdus ne pourrait jamais suffire à le faire emprisonner : il ne savait pas de quoi il s’agissait, on lui avait simplement demandé une indication et, en tant que parisien, quoiqu’aimable, il avait donné la réponse attendue.

« Ce… ce n’est pas très loin. Il suffit de rejoindre la rue de Rivoli. Enfin, non, non, c’est trop exposé… Il vous faudra passer par les petites rues… » Il tentait d’expliquer tout cela, mais même s’il maîtrisait l’anglais parfaitement, il avait conscience la difficulté que cela représentait, pour un étranger, de comprendre et de suivre les instructions d’un passant, si claires soient-elles, pour se rendre d’un point qui lui était inconnu à autre point plus inconnu encore. Le tout évidemment, en passant par des méandres tout aussi inconnus. De quoi se perdre au premier virage, au premier coin de rue. Leopold essaya de faire au plus simple. Rivoli était plus exposée certes, mais il n’y avait tout de même rien de suspect à ce qu’un homme et un enfant l’emprunte de plein jour. Il y avait toujours énormément de monde qui déambulait sur Rivoli.

« Oui, c’est ça… prenez donc Rivoli… Il vous suffit de traverser les Halles. Traversez le jardin, et assurez-vous d’être sur Rivoli… Une fois la rue Duval dépassée, vous tournerez à gauche et vous y serez directement. Ce n’est pas loin, mais je ne peux pas vous accompagner. » Précisa-t-il, pour se donner bonne conscience. « C’est très simple. Coupez droit par le jardin, longez Rivoli et scrutez le nom des plaques. La rue Pavée est perpendiculaire à la rue de Rivoli… Vous voyez ? Courage, et que Dieu ait votre âme. »

Conclut-il avant de remettre son chapeau et de s’en aller. Il espérait avec force et même violence n’avoir pas passé trop de temps en présence de ces deux-là : il ne voulait pour rien au monde être lié ou relié à eux. Et pourtant, alors qu’il rentrait au manoir, il était envahi d’un sourd cri de remord, d’un écrasant sentiment de honte et de dégoût envers lui-même.

Alors, c’était tout ce dont il était capable pour sauver ses semblables ? Il serra les dents et baissa le front. Puis, par une puissante volonté, il étouffa ces cris affreux et interminables qui rongeaient à présent son esprit et son âme, et s’appliqua à oublier rapidement cet extraordinaire évènement.
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